« Le Chat ira », une fleur d’utopie émergeant de l’abandon et la cupidité

  

Chat iraDepuis début avril, ils sont une cinquantaine de miséreux à occuper un bâtiment datant du début du siècle dernier dont les solides et majestueuses poutres en bois et pierres de taille nous renseignent sur des savoirs-faire des générations de Bordelais nous ayant précédé. Il servait autrefois de garage pour des véhicules industriels, et il représente plus de 1000 m² de surface à assainir et aménager.

Tous les Bordelais se rendant vers la Gare St Jean depuis des années ont sans doute remarqué, rue Peyronnet, cet arbre qui déployait ses branches depuis une fenêtre pour y chercher la lumière du ciel. Depuis des années, ces locaux sont vides, inexploités alors qu’à quelques centaines de mètre à peine, des SDF dorment sous le pont St Jean.

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Les propriétaires dont on ne connaît pas encore les noms, sont semble-t-il, des personnes fortunées ayant quelques affaires à Singapour, Paris et ailleurs. Ce bâtiment ne représente pour eux rien d’important. Manifestement, ils n’ont pas souhaité y développer une quelconque activité économique ou sociale depuis cinq ans au moins, et à 3000 € le mètre carré dans ce secteur de Bordeaux, seul compte le bénéfice qu’il pourrait être tiré de sa revente dans le cadre du projet de quartier « euratlantique » dans les cartons de la Mairie de Bordeaux. Projet dont le nom rappelle celui d’un traité non désiré par les peuples d’Europe, mais qu’on leur impose dans un silence de cathédrale…

Les habitants du quartier ont été interrogés en 2011 par la Mairie s’agissant de la destruction de ce bâtiment et l’érection d’un immeuble en lieu et place. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les riverains ont fait savoir leur opposition claire dans le document relatant leur consultation. Pour le moment, aucun mouvement financier ne semble préciser le devenir du bâtiment baptisé le « Chat ira ! » par ses occupants.

chat ira 6Ces derniers sont hétéroclites. Il y a d’abord des habitants du quartier qui donnent un peu de leur temps et leur cœur, quelques SDF et sans papiers, des jeunes en quête d’évolution libertaire de la Société et d’idéaux hors des schémas de pensée des tenants du Système actuel. Il y a beaucoup de femmes, dont l’une est enceinte. Quelques-uns se retrouvent dans les courants « antifascistes », tous cultivent l’esprit de débrouillardise et d’initiative que l’on retrouve dans les Z.A.D comme celles du Testet ou de l’Ayraultport. Souriants et ouverts au dialogue, ils rêvent de faire de ce squat une structure sociale auto-gérée.

Et après tout, pourquoi ne pas les laisser faire ?

Actuellement, une décision de justice court, et le préfet peut décréter leur expulsion à tout instant. Ce qui signifie la coûteuse et inutile mobilisation de nombreux C.R.S ou gendarmes mobiles pour jeter des gens à la rue et ne régler aucun de leurs problèmes d’hébergement durable et d’inscription dans des projets de vie répondant à leurs aspirations.

On prend plaisir à emprunter une guitare et jouer un peu au « Chat ira »

La Municipalité de Bordeaux a tout à fait le droit de préempter l’acquisition des locaux et du terrain, et même de les racheter pour un euro symbolique au vu du peu d’intérêt porté par les propriétaires à l’usage de ce bâtiment. Et puisque des exclus un peu bohèmes et doux rêveurs pensent pouvoir démontrer que l’auto-gestion d’un tel bâtiment est possible, pourquoi ne pas leur faire confiance en leur confiant la gestion des locaux ?

Déjà, les habitants du « Chat ira » songent à écrire les statuts d’une association ce qui témoigne de leur volonté de formaliser leur projet et leurs interactions avec les administrations. Ils souhaitent transformer ces locaux enfin occupés, en un lieu d’accueil pour les sans abris, mais aussi un potager bio, des ateliers de réparation de vélo et de bricolage, une échoppe gratuite où l’on donne ce que l’on a en trop pour que cela serve à quelqu’un d’autre avant de chiner pour éventuellement trouver un objet utile pour soi. Par ailleurs les arts ne sont pas en reste, notamment picturaux et musicaux. Déjà des graffeurs ont créé leurs toiles et des concerts ou encore du théâtre s’inviteront régulièrement au « Chat ira ».

Atelier réparation de vélo

Les occupants du « Chat ira » ont besoin du soutien de tous les Bordelais au-travers de dons de matelas, vêtements, produits d’hygiène et de première nécessité, petits et grands meubles ne servant plus, nourriture, vieux vélos, etc…

On vous reçoit dans des conditions encore rustiques, mais l’on s’organise pour peu à peu nettoyer et aménager les lieux et en faire un endroit accueillant. Il manque la sérénité de pouvoir y rester pour ces femmes et hommes ne demandant qu’un peu de dignité et d’écoute des autorités pour faire de ces locaux une expérience d’auto-gestion admirablement menée sur de nombreuses années.

Et puis après tout, à bien y réfléchir : Puisque les élus de Bordeaux se glorifient d’un vague projet « Euratlantique » visant à repenser l’urbanisme en lien avec des aspirations écologiques, sociales et démocratiques de leurs électeurs, pourquoi ne pas s’éviter les drames et fracas d’une évacuation musclée, pour au contraire écouter ce que proposent les occupants du « Chat ira » et les aider à formaliser un projet pérenne qui s’intégrerait dans une politique de la ville plus sociale et participative ?

Cela fait des années que le « Chat ira » ne trouvait aucune valorisation et aujourd’hui il est déjà un toit pour protéger de la pluie et du froid des pauvres erres et quelques rêveurs trop fauchés pour pouvoir se louer un appartement. Nous n’avons pas à faire à des brigands ou des banquiers ou encore des politiciens au comportement mafieux, mais à des gens (souvent jeunes) essayant de survivre et monter des projets. Si ces jeunes gens plein de vie, de force et d’intelligence (j’en témoigne) sont certains de pouvoir démontrer leur ingénierie sociale et leur capacité à entretenir les locaux, pourquoi leur refuser de faire leurs preuves, et ne pas permettre à tous les observateurs s’intéressant à leur projet, de pouvoir découvrir les points forts et les lacunes de l’auto-gestion ?

Une Société ne peut avancer qu’en se nourrissant d’expériences hors des schémas établis.

« Poil à Gratter ! » suivra le devenir du « Cha ira » et les débats des élus sur ce qu’il est envisagé de faire pour ce bâtiment. Nous encourageons le préfet à recommander à son autorité de tutelle – et  cela au nom de la lutte contre la précarité sociale et en vertu d’une utilisation plus rationnelle de nos effectifs militaires et policiers – de laisser le temps aux Conseillers Municipaux de la Mairie de Bordeaux de se rapprocher des occupants du « Cha ira », les écouter, et voire s’il ne peut pas être proposé un projet d’acquisition du bâtiment par la Mairie, au profit de l’association amenée à gérer les activités du « Cha ira ». Je rappelle aux policiers et gendarmes qui seront chargés de procéder à l’évacuation du bâtiment, que ce sont des gens pouvant être leurs enfants, petits frères ou petites sœurs qui ont trouvé un abri dans ces locaux. L’État a le devoir de protéger les citoyens, non de les expulser d’un bâtiment inoccupé depuis des années et qui le restera sans doute encore longtemps s’il devait à nouveau être vide. Puisque des épidémies semblent frapper nos forces publiques en ce moment, au nom de la Fraternité que nous devons à nos familles et nos concitoyens, je vous encourage à veiller dans les prochains jours qu’un surcroît de fatigue n’exige pas votre mise au repos.

Pour tous les Bordelais qui souhaiteraient les soutenir matériellement ou moralement, rendez-vous au 9 rue Dom Devienne dans le quartier St Jean. L’accueil sera toujours chaleureux et paisible et l’on a beaucoup à vous rendre en sourires, en histoires de vie et en rêves d’un monde meilleur à partager.

Sylvain Baron

  

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